Un coup de tonnerre dans un ciel bleu

Votre histoire est celle d’un combat et d’une victoire. Pouvez-vous nous la raconter?

Je suis maman de 3 filles. Un jour, l’une d’elle a eu des problèmes de santé, elle manquait de force alors qu’elle était sportive et tout de suite cela m’a alerté. On lui a diagnostiqué une leucémie, un cancer du sang; elle avait 11 ans et demi à l’époque.

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Notre vie de famille était tout ce qu’il y a de plus normal; joyeuse, sereine. Ce fut un coup de tonnerre dans un ciel bleu. On ne veut pas admettre que cette maladie existe, un cancer chez un enfant c’est particulièrement difficile à concevoir en tant que parent. Commence alors le défi d’être parent d’un enfant atteint d’une maladie mortelle, qui joue sa vie.

On se dit qu’elle ne peut pas mourir, qu’on va se battre, qu’on va être présents pour la consoler et l’entourer. Qu’il va falloir aussi, avec mon mari, ne pas abandonner dans cette bataille ses 2 sœurs qui vont aussi vivre la violence, le choc, le stress. Ce combat, on l’a gagné tous ensemble, en équipe.

Aujourd’hui, ma fille a 32 ans; elle est maman et vit comme tout le monde, sans aucune séquelle physique.

Comment faire face à cette maladie?

Il ne faut pas rester seul. Il faut s’entourer, s’appuyer sur des amis, une association… il faut parler, trouver des appuis. Un parent qui s’effondre ne peut pas aider ni entourer son enfant pour qu’il supporte les traitements et donc pour qu’il lutte contre la maladie.

Il faut aussi comprendre que la vie va changer, qu’il faut autant que possible se concentrer sur le présent. Quand vous êtes face aux médecins et qu’on vous dit que votre enfant en a pour 135 semaines de traitement… on se dit qu’on ne va jamais y arriver, on essaie d’imaginer la fin? Une date? Mais c’est impossible à prévoir, il faut se concentrer sur le présent, conserver son énergie. Se projeter, c’est trop difficile.

Une aide, qui parfois semble un fardeau, ce sont les autres enfants mais ils nous aident à nous relever, ils aident aussi le malade à revenir à la maison car ils ramènent la norme, ils ont donc une place essentielle dans cette épreuve. Le papa a aussi une place importante: chacun son tour est fort, chacun son tour est cassé, mais ensemble on peut y arriver.

On comprend le rôle central de la famille dans tout le processus de guérison d’un enfant atteint d’un cancer. C’est d’ailleurs sur ce point que votre association l’ARFEC intervient. Comment fonctionne-t-elle?

L’ARFEC est une association de familles, tous les responsables sont des parents qui ont été concernés par un enfant atteint d’un cancer. On se sent donc tous très impliqués dans cette bataille, car nous savons combien c’est long et difficile.

C’est une façon de rendre ce que nous avons reçu. Alors comment faire? Comment aider lorsque le ciel vous tombe sur la tête? Je le répète: on ne peut pas s’en sortir tout seul, il faut des gens pour réconforter, se sentir entouré, avoir une épaule ou oreille pour pleurer, une main tendue pour se relever.

Le but de l’ARFEC est d’offrir un appui aux parents sous toutes les formes.

Vous pointez du doigt une autre réalité très dure, celle de nombreux parents qui doivent faire face financièrement à la maladie de leurs enfants. L’ARFEC intervient là aussi?

Oui, soutenir, c’est aussi lutter contre la solitude financière et matérielle que beaucoup de familles traversent. C’est un immense défi: les parents doivent se relayer, être présents pour un enfant en permanence à l’hôpital comme à la maison.

Tout cela au risque de perdre leurs emplois car il n’y a pas d’aides financières pour les familles dont l’enfant est atteint d’un cancer. Un traitement contre le cancer, c’est beaucoup de trajets entre la maison et l’hôpital, les besoins de base (manger, dormir, se déplacer, …) tout est cher et n’est soutenu que par les associations et les traitements peuvent durer parfois 2 ou 3 ans…

Notre association a la chance de pouvoir compter sur des bénévoles qui offrent plus de 12 000 heures de leur temps par an et d’avoir un soutien extraordinaire de donateurs de tous horizons pour pouvoir redistribuer plus de 300 000 francs chaque année aux parents qui font face à ces situations. Il y a une bataille financière à mener et la société doit prendre sa responsabilité vis-à-vis de ces familles qui se battent seules.

Des aides sociales peuvent être obtenues, mais selon les cantons, c’est une dette à rembourser, quelle que soit l’issue du traitement! Après la bataille médicale, au moment où l’on doit se remettre du choc émotionnel, vient la bataille financière.

Une famille a près de 100 000 francs de dettes à rembourser à l’aide sociale de sa commune causée par la perte des emplois à l’heure où l’on parle, alors que leur enfant n’est pas encore guéri. On ne peut pas laisser les gens se bagarrer comme ça tout seuls.

Vous avez aussi écrit un livre «Un pas après l’autre» sur le sujet. Quel est le but de ce livre? 

Je me suis rendu compte qu’il y avait surtout des livres médicaux ou des livres très personnels qui parlaient du cancer de l’enfant. Je trouvais cela très important de donner des repères pour soutenir les parents mais aussi pour alerter les personnes en lien direct avec les familles touchées par cette maladie. Il faut que les proches, les voisins, les enseignants… comprennent l’urgence des familles, la souffrance des parents.

Récemment, une maîtresse d’école était très fâchée contre une maman, elle maternait trop sa fille qui était guérie d’après elle. La fillette n’allait pas à la piscine, n’était pas souvent présente à l’école.

Une rencontre à trois a permis de découvrir qu’elle n’avait aucune idée de ce qu’il en était: l’enfant était encore fragile même si ses cheveux avaient repoussé, elle prenait encore 22 médicaments par jour. Beaucoup de parents sont fatigués d’expliquer. C’est là aussi un autre combat pour eux. Les aider, c’est aussi éclairer leur entourage.

Quel est le contexte actuel du cancer infantile en Suisse? Qu’espérez-vous pour l’avenir? 

Un cancer de l’enfant est un cancer qui peut frapper de 0 à 20 ans; certains enfants naissent avec un cancer, des bébés et des nouveaux nés peuvent être touchés. Aujourd’hui, le taux de guérison tourne autour de 80% et même plus pour certains cancers.

Ce qui nous inquiète, c’est que dans les 80% de guérisons, les séquelles liées aux traitements sont très lourdes. On voit par la première génération d’enfants guéris, devenus jeunes adultes, quel prix ils paient pour leur guérison. Il peut y avoir des problèmes de mobilité, des organes attaqués par les traitements à répétition ou encore des problèmes de fertilité.

La recherche médicale avance, on espère que les nouvelles thérapies pourront réduire ces conséquences qui pèsent parfois tout au long de la vie.