En janvier 2013, j’ai consulté ma généraliste pour une toux sèche après un retour de vacances. Après une radio, la radiologue m’a demandé si je savais que j’avais une maladie. Evidemment, je n’étais pas du tout au courant, je me sentais bien, j’étais juste un peu essoufflé de temps en temps en montant l’escalier.
J’ai ensuite consulté un pneumologue qui m’a prescrit un traitement pour la pneumonie pour enlever les taches que j’avais dans les poumons mais il restait des opacités. On m’a alors diagnostiqué une pneumopathie interstitielle; cela veut dire en gros une maladie des poumons.
J’avais déjà perdu 40% de mes capacités pulmonaires sans m’en rendre compte.
Les médecins m’ont rassuré en me disant que dans 99,9% des cas, cette maladie pouvait être soignée par un traitement à la cortisone. Mon pneumologue espérait que ça marche car si on tombait dans les 0,1% des cas intraitables ça pourrait devenir très compliqué. Il n’y aurait tout simplement pas de traitement.
Je faisais partie des 0,1%… Tout de suite, j’ai demandé à mon médecin la gravité de la situation; je voulais savoir en toute honnêteté. Il m’a dit qu’il me restait un, deux ou peut-être dix ans à vivre.
Comment avez-vous vécu cette annonce?
Vous rigolez, d’un rire nerveux, bien sûr parce que ça paraît impossible. Vous n’y croyez pas. J’étais en bonne santé, en pleine forme, je travaillais à 100%, j’étais juste un peu essoufflé parfois. J’ai fait une batterie de tests pour confirmer: bronchioscopie, biopsie du poumon qui ont confirmé le diagnostic mais pas son origine; on ne peut par conséquent pas mettre en place un traitement si on ne connaît pas sa cause.
J’ai ensuite demandé l’avis à trois médecins, les meilleurs de leur discipline au monde: l’un aux Etats-Unis, l’autre en France et un dernier en Suisse. L’idée, c’était d’affiner le diagnostic et de comprendre la maladie le mieux possible.
En comprenant ma maladie, je pouvais m’entourer des meilleures personnes pour me soigner. Les trois n’étaient pas d’accord sur ce que j’avais et la manière de le traiter. Mais à ce moment, j’étais dans un état d’esprit très positif, j’étais entouré et reçu par les meilleurs professeurs en pneumologie.
Je n’avais aucune peur, j’étais persuadé qu’on allait trouver une solution, un médicament pas encore mis sur le marché, par exemple.
On me disait de toute façon, quoi qu’il arrive, de garder à l’esprit que j’aurais sûrement besoin d’une greffe un jour ou l’autre. C’était pour moi inconcevable, que la solution serait ailleurs. Jamais la transplantation. Le professeur Nicod du CHUV de Lausanne m’a prescrit un traitement antirejet pour ralentir la maladie.
Cela a marché pendant un an et demi. Puis mon état s’est dégradé très vite. Du jour au lendemain, je me suis mis à perdre 400 grammes par jour alors que je mangeais normalement. La maladie était plus agressive que le traitement.
C’est là que l’option de la greffe est devenue inévitable?
Effectivement, on est au début de l’été 2016 et le professeur Nicod me dit que le temps passe dangereusement et qu’il faut d’urgence faire un bilan prégreffe pendant que je suis encore en état, car les temps d’attente sont entre six mois et deux ans.
Je fais ce bilan et mon entourage commence à être très perplexe sur ma capacité à tenir une année supplémentaire. J’étais en chaise roulante, sous oxygène 24 heures sur 24, j’arrivais encore à marcher péniblement, je faisais peut-être 50 kilos au lieu de 75 au départ.
Deux mois plus tard, je suis accepté sur la liste de greffe, mais je ne me suis pas inscrit sur cette liste parce que je voulais passer encore un été en famille, profiter de mes enfants. Je n’étais pas prêt psychologiquement.
Je me suis hyperdocumenté sur ma maladie, ses remèdes, j’ai même appris à lire mes résultats d’analyses seul pour mieux comprendre ce qui m’arrivait. Bien sûr, dans mes recherches, j’ai vu passer beaucoup de statistiques et de chiffres sur la transplantation pulmonaire.
Le pourcentage de réussite que je lisais n’était pas bon, et je me disais encore qu’on allait trouver une autre solution. J’étais dans le déni. Je suis parti en vacances profiter de mon été.
Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis?
Fin août, j’ai revu le professeur Nicod et mes chirurgiens qui m’ont dit que je ne serais plus là pour Noël. Qu’il fallait absolument que je m’inscrive sur cette liste de greffe, même s’ils pensaient déjà que ça pouvait être trop tard.
Je m’y suis inscrit très vite début septembre. Je n’ai attendu que dix jours pour être transplanté, quatre mois après ma greffe. Le CHUV n’a fait aucune greffe durant plus de trois mois, la loi des séries comme ils disent.
Si je suis là aujourd’hui, c’est grâce à 40% des donneurs annuels qui ont donné leurs organes sur seulement quinze jours. Quand on pense à quoi ça tient, ma vie n’a tenu qu’à un agenda miracle et bien sûr à une équipe de médecins plus que compétents.
Premier coup de chance. Il faut savoir aussi que lorsqu’on vous appelle – dans 35% des cas, – le potentiel greffé retourne chez lui sans greffe, car le poumon n’arrive pas en bon état ou qu’il y a un problème, un mauvais timing de transport, ou que finalement la compatibilité n’est pas bonne. Il faut beaucoup de feux verts avant l’opération. Je les ai tous eus. Deuxième coup de chance. Avec autant de veine, je n’ai même pas joué au loto. C’était ça mon loto. Et il était gagnant avec tous les bons numéros dans l’ordre.
Comment vous-êtes vous remis de l’opération?
Je me suis réveillé après l’intervention qui a duré environ quinze heures. La première chose qu’on demande en ouvrant les yeux, c’est si on est bien en vie. Tout de suite après la greffe, on m’a retiré l’oxygène. Première libération.
Deux jours seulement après la greffe, je pédalais dans mon lit pour reprendre de la masse musculaire car je pesais alors 40 kilos.
Huit jours après ma greffe, j’ai monté 5 étages à pied sans oxygène, sans aide, sans rien. Je suis sorti seulement deux semaines après l’opération.
Avez-vous ensuite retrouvé une vie normale?
Juste après la greffe, j’ai réussi à me brosser les dents debout; cela faisait des mois que je n’y arrivais plus. Cela vous montre à quel point j’étais mal. En sortant de la salle de bains, je me suis rendu compte que les choses allaient totalement changer.
Que j’allais revivre. J’ai d’abord repris mon travail à 20% du temps pour revenir vite dans la vie active. Et puis je suis de nouveau entré dans la vie tout court: je suis sorti, j’ai fait des dîners, la vie à repris son cours. La seule différence avec ma vie d’avant la maladie, c’est que je dois prendre des médicaments deux fois par jour et faire très attention à ne pas tomber malade pour ne pas mettre en péril mes nouveaux poumons.
En période de grippe en plein hiver, j’évite simplement les bains de foule, par exemple. Des efforts minimes par rapport à la chance de rester en vie. Aujourd’hui, près de deux ans après ma greffe, j’ai repris mon travail à plein temps et mes capacités pulmonaires tournent autour de 85%. Je joue au tennis, au golf, je refais du vélo. Je respire.
Quel message voulez-vous adresser à tous les patients qui doutent sur la greffe ainsi qu’à tous ceux en attente d’une transplantation pulmonaire?
Que la greffe est une opération extrêmement bien maîtrisée, de A à Z. Toute la durée de la greffe, pendant environ un an, je n’ai jamais eu de douleurs grâce aux médicaments. Je trouve aussi qu’il y a une désinformation sur cette opération et ses risques.
On fait des greffes de poumons depuis vingt ans, il n’y a donc pas assez de recul et le problème c’est que les statistiques et les chiffres sont faussés. Par exemple, on va comptabiliser les décès après une greffe sans prendre en compte l’âge ou les autres maladies du patient.
Quand vous étudiez de manière très précise ces données comme je l’ai fait, vous vous rendez compte que tout est faussé. Et puis à tous ceux qui doutent comme j’ai pu douter moi aussi: si à un moment on vous annonce une deadline, que votre vie risque de s’arrêter dans un, deux ou trois ans, il faut tout de suite opter pour la greffe. Il faut y aller les yeux fermés, il ne faut pas avoir peur; si on ne le fait pas, on va tout simplement mourir.
Posez-vous cette question: «Est-ce que j’essaie d’avoir 100% de chances de survivre grâce à une transplantation ou 0% de chance de m’en sortir?» La greffe des poumons, c’est un souffle de vie.